(Cet article a été publié en novembre 2023 dans la revue nationale du SYNADIC (Organisation professionnelle de chefs d’établissement de l’enseignement catholique)
La place des femmes dans le système éducatif mondial est considérable. Ne pas le souligner lors d’une réflexion sur « l’éducation intégrale » serait coupable.
En faire l’inventaire, ou simplement un survol en quelques lignes, reviendrait soit à rédiger un ouvrage de plusieurs volumes, soit à risquer la caricature par des choix malheureux.
Rappelons toutefois, et avant de choisir trois exemples « hors normes », que tous les textes sur l’éducation à la base des réflexions de l’Eglise soulignent avec éclat la place unique et particulière des femmes :
« Partout où existe la nécessité d’un travail de formation, on peut constater l’immense disponibilité des femmes qui se dépensent dans les relations humaines, spécialement en faveur des plus faibles et de ceux qui sont sans défense. Dans cette action, elles accomplissent une forme de maternité affective, culturelle et spirituelle, d’une valeur vraiment inestimable pour les effets qu’elle a sur le développement de la personne et sur l’avenir de la société. Et comment ne pas rappeler ici le témoignage de nombreuses femmes catholiques et de nombreuses Congrégations religieuses féminines qui, dans les différents continents, ont fait de l’éducation, spécialement des jeunes garçons et filles, leur activité principale ? » Jean-Paul II, Lettre aux femmes, n° 9.
Et des « femmes catholiques », engagée dans l’éducation, il y en a beaucoup ! Pour limiter le champ d’investigation, et expliquer une particularité locale, il peut sembler intéressant de suivre le chemin de trois grandes fondatrices marseillaises du XXème siècle : Jeanne Perrimond, Charlotte Grawitz et Jeanne Ferraris.
A l’origine de la création de nombreux établissements, ces trois grandes dames, aux origines parfois différentes, aux convictions souvent éloignées, partageaient une volonté commune d’instruire les jeunes femmes pour les émanciper. Toutes ont dû « jouer des coudes » pour imposer leurs choix et développer leurs établissements dans un contexte peu favorable. Toutes chrétiennes, elles avaient une volonté commune de servir leurs valeurs sans imposer de convictions. Elles avaient en commun d’y dévouer leurs vies, faisant de leur humanisme un authentique témoignage de la charité donnée et du renoncement à soi. Elles ne se sont pas mariées.
Charlotte Grawitz et Jeanne Perrimond sont deux femmes issues de la grande bourgeoisie marseillaise. Si la première est issue du monde du transport maritime, la seconde est issue du milieu commercial et industriel marseillais. Toutes deux disposent de moyens importants et souhaitent donner une place plus légitime aux femmes, tant dans la production que dans la direction des établissements industriels et commerciaux. Plus modeste par ses origines, Jeanne Ferraris a également l’intuition de la place que les femmes devraient occuper dans le monde du travail. Engagée dans les syndicats féminins chrétiens, Jeanne Ferraris est une militante de la cause des femmes au travail, dans l’esprit de la célèbre encyclique « Rerum novarum » de Léon XIII, et par le biais des patronages chrétiens, très nombreux au début du XXème siècle.
Toutes les trois vont très modestement débuter l’aventure de l’enseignement. « Tante Charlotte », comme la surnomment ceux qui ont eu la chance de la connaître, débute modestement en fondant en 1925 un « restaurant féminin », qui très vite devient un lieu de formation improvisée. Pour Jeanne Perrimond, c’est un peu plus tard, en 1938, dans des locaux occupés par une congrégation religieuse féminine, qu’elle fonde une « école de secrétariat commercial » à l’intention des jeunes filles et sous statut associatif. Pionnière à sa façon, Jeanne Ferraris prend en charge un cours de sténodactylo fondé en 1907. La Loi Astier (1919) lui donne la possibilité de transformer ce cours en Institution Marseillaise des Cours Commerciaux et Industriels (IMCCI) : L’Institution Marseillaise est née. Elle deviendra une association en 1938.
Ces trois fondatrices veulent promouvoir la culture et la capacité des femmes à prendre leur destin en main. Si, pour Charlotte Grawitz et Jeanne Perrimond, il s’agit aussi de permettre à des femmes de succéder à leurs parents dans la gestion des entreprises, la démarche de Jeanne Ferraris reste proche du syndicat d’où elle est issue : L’institution Marseillaise s’intitule parfois « Cours Professionnels Féminins » surnommée par beaucoup « La Ruche », l’accueil y est très large. Durant le long développement des institutions ainsi créées, le souci de tous deviendra dominant, porté par un projet sans cesse approfondi.
Toutefois, le souci de transmettre et de faire grandir ces jeunes femmes n’est pas une dénonciation du système établi. Le « centre Familial ménager » créé par Charlotte Grawitz apporte des savoir-faire bien au-delà du secrétariat : Elles sont initiées « aux charges de maitresse de maison et de mère de famille ». Comme l’écrivit Bruno Charbonnier dans l’essai qu’il lui consacra : « Immuablement fidèle à sa Foi, aux principes hérités de son enfance, à une vocation au service des autres, Charlotte Grawitz n’a pas cessé de susciter, d’animer des initiatives dont nous voyons aujourd’hui les fruits ».
De son côté Jeanne Perrimond développe son établissement en tissant des liens fidèles et étroits avec des grandes familles commerciales et industrielles de Marseille. Le lien école-entreprise est déjà en marche ! Dans le même temps, l’établissement, implanté dans un un couvent, est le théâtre de messes régulières. Comme à l’IMCCI, plusieurs religieux siègent au Conseil d’Administration. On observe cependant que les trois jeunes fondations, bien que chrétiennes dans l’inspiration, restent autonomes dans leur fonctionnement et ne se mettent pas sous « tutelle ».
Et les fondatrices ne manquent pas d’énergie ! De 1936 à 1946, Charlotte Grawitz n’ouvre pas moins de sept établissements entre Aix et Marseille ( Célony, Edmond Rostand, Marie Gasquet …). Enseignante en Philosophie à l’Université, Jeanne Perrimond s’appuie sur ses connaissances du réseau éducatif, et du système industriel et commercial local, pour faire grandir considérablement son institution, finalement bien à l’étroit dans son couvent.
La seconde guerre mondiale ne va pas arrêter l’élan des trois grandes dames. Le 11 juin 1944, l’Institution Marseillaise est reconnue d’utilité publique. Pourtant exilée dans le Gard avec ses élèves, Jeanne Ferraris en ressent une profonde gratitude.
La période dite des « Trente Glorieuses » marque l’épanouissement des établissements créés dans l’entre-deux-guerres. De 1960 à 1962, tous obtiennent officiellement le contrat d’association. Tout en poursuivant l’ouverture de nouveaux établissements, Charlotte Grawitz transforme et regroupe les Ecoles ménagères en Ecoles Techniques puis en Lycée d’enseignement professionnel. Le Père Resta remplace Jeanne Perrimond à la tête de sa fondation. Dans le même temps, Jeanne Ferraris cède la Direction à Mademoiselle Elisabeth Allemand.
Il est étonnant de constater à quel point l’esprit de ces trois femmes de caractère a marqué les institutions dans leur projet. La plupart demeurent au Conseil d’Administration de leur propre création. Leur esprit perdure au-delà de leur présence parmi les élèves et les professeurs. Jeanne Ferraris dira lors d’une réunion : « Les chiffres montrent à l’évidence ce qu’un petit groupe de bonne volonté a pu réaliser sans ressources particulières, animées seulement du désir de donner un sens à leur vie par le service des autres ». Charlotte Grawitz, au seuil de sa vie aura fondé pas moins de 90 établissements en France et à l’étranger. Son œuvre est devenue une fondation éponyme. A Marseille, c’est sous le nom de « Provence Formation » , de « Formation et métier » , de l’AMSP (Association Médico-Sociale de Provence) et de Lycée La Cadenelle, que l’œuvre de « Tante Charlotte » est désormais connue. Certains se sont associés à l’enseignement catholique. Formation et Métier abrite notamment le CFA de l’enseignement catholique de l’académie d’Aix-Marseille.
Dans le même temps, Le Père Resta (également fondateur du Collège Eugène Mazenod à Marseille) décide de quitter la compagnie des religieuses pour s’installer au Roucas-Blanc, juste à côté de la Basilique Notre-Dame … Avec une « vue mer » fabuleuse ! C’est sur ce site que désormais le lycée Jeanne Perrimond va se développer. Il est aujourd’hui un établissement d’enseignement supérieur dynamique et rayonnant. Il a rejoint l’enseignement catholique diocésain.
Enfin, l’IMCCI doit se trouver un nouveau nom puisque l’Institution marseillaise a l’obligation de devenir un lycée. Pour Jeanne Ferraris, le choix est évident : « Nous avons choisi Charles Péguy pour nous « patronner », c’est que nous aimons beaucoup cet écrivain (…). D’origine modeste, comme bien des anciennes de l’Institution Marseillaise, ou des élèves actuelles, il a toujours aimé et respecté les plus humbles. Il admirait en sa mère, le soin qu’elle apportait à son métier de rempailleuse de chaises au point de dire un jour « Il est aussi beau pour Dieu de peler des pommes de terre que de bâtir des cathédrales ». Charles Péguy est aujourd’hui un lycée des métiers, polyvalent, offrant des formations de la seconde à Bac+5. Associé à l’enseignement catholique, il en partage les valeurs tout en gardant l’autonomie voulue par Jeanne Ferraris.
Le portrait croisé de ces trois grandes dames de l’enseignement à Marseille montre, s’il en est besoin, la diversité des parcours, et les chemins parfois insoupçonnés, par lesquels la mission d’éducateur peut passer. Aux grandes congrégations séculaires dont la profusion créative fait l’admiration de tous, répondent parfois ces femmes anonymes et silencieuses qui, en douceur et dans l’écoute, ont su apporter une pierre à l’édifice. Par un juste équilibre entre tradition et modernité, don de soi et sens du sacrifice, audace et défi aux temps dans lesquels elles vivaient, Charlotte et les deux Jeanne ont durablement marqué le paysage éducatif marseillais.
Comme le disait Jean XXIII : « La tradition n’est pas l’ennemi de l’audace, elle est même le support de l’innovation ».
Encore aujourd’hui, les établissements fondés par ces trois marseillaises rassemblent entre eux le plus grand nombre d’apprentis de l’enseignement privé de l’Académie d’Aix-Marseille. Engagés avec l’enseignement catholique dans leur mission de service public, fidèles à leurs fondatrices, ils participent à l’accompagnement de tous les jeunes, garçons et filles, qui leur sont confiés.
Sources : « Charlotte Grawitz » par Bruno Charbonnier
« Etablissement Charles Péguy, d’un siècle à l’autre » par Nadia Simony
Merci à Brigitte d’Amico (Directrice de Jeanne Perrimond) et à Monsieur Jean-François Bessières (Directeur Général de Provence Formation) pour leur aide précieuse.
Stéphane Thiébaut
Directeur de Charles Péguy
je suis une « ancienne » élève de l’école dirigée alors par Melle PERRIMOND; j’y ai fais ma 2nd, 1ère et terminale. J’ai été très marquée par la bienveillance et l’extraordinaire intelligence que dégageait Melle PERRIMOND. C’était une toute petite dame, mais quel esprit, quelle autorité, quelle dignité, et quelle humanité. Dans cette école qui se trouvait à l’époque rue Perrin Soliers, il y avait aussi Melle MENDRE, la prof de philo, une femme extraordinaire avec un coeur immense, M. ABEILLE le prof d’anglais brillant et sympathique, et toute une ambiance dans laquelle on se sentait à sa place, on se sentait bien. Cette école et ses enseignants m’ont marquée et m’ont permis d’avancer.